1984 - Nana-Bakassa
Le chat Gombé ..
Un pelage gris souris, un médaillon de poils blancs sous le cou, c’était un chat plus grand que la moyenne, alors âgé d’un an et demi. Et bien que nous vivions en appartement, il nous avait déjà accompagnés dans quelques aventures tout-terrain. Il marchait en laisse, faisait du camping, du kayak et de la varappe à Fontainebleau. Il connaissait les longs trajets en voiture et même en wagon-lit, mais l’avion fut une première pour lui. Nous avons embarqué et nous sommes installés, ceinture bouclée, son panier à mes pieds et les réacteurs ont commencé à rugir. La carlingue vibrait, l’avion s’élança pour décoller .. Ce fut le moment fatidique pour la pauvre bête qui s’en sortit très honorablement sans miaulements abusifs, au grand soulagement de nos voisins de cabine. Il dormit une bonne partie du vol couché sur mes genoux, hors de son sac même si je ne lâchais pas sa laisse.Les hôtesses sous le charme, se relayaient pour le caresser, eh oui, c’était une époque très détendue dans les avions, pour les animaux de compagnie comme pour les humains. J’ai même connu les vols "fumeurs", pas vous ? avec le petit cendrier au bout de l’accoudoir et où un simple rideau séparait la classe "fumeur" de la classe "non-fumeur"..
Après sept heures de vol
Bangui, la chaleur et une moiteur familière nous envahirent dès la descente de la passerelle. Une voiture nous attendait pour nous conduire à la case de passage où Gombé put enfin se dégourdir les pattes, manger et boire ! La douche fonctionnait, le petit dîner en ville fut bien sympathique et le climatiseur allait bercer notre première nuit. Le lendemain, il fallait sillonner la capitale pour dénicher quelques boutiques d’alimentation tenues, comme à l’accoutumée, par des libanais enthousiastes et très serviables. Nous devions faire notre ravitaillement avant le départ en brousse car nous ne reviendrions que tous les deux mois, n’oublions pas le beurre ! Mais au fait, aurons-nous un frigo ??
Bagages, glacière et cartons chargés dans le pick-up Peugeot 504, nous partons pour 360 km de route, un périple de sept heures minimum. Après une première partie de route goudronnée qui traverse quelques villages au coeur d’une végétation dense, nous attaquons la piste en latérite dite "tôle ondulée" et plus nous montons vers le Nord, plus la végétation devient basse et sèche. La nuit commence à tomber quand la voiture se met à tousser puis s’arrête !! Eh oui, c’est le coup de la panne, le vrai, qui nous fera passer la nuit dehors, sur la piste ! Nous navons ni lampe torche, ni outils, mais de l’eau et notre kilo d’Edam à grignoter !! Le chauffeur, parti au lever du jour, revient enfin avec un mécano et après dépannage, nous reprenons la piste et arrivons à destination vers dix heures.
4 hectares de sous-bois ..
A l’entrée du village, la "concession" apparaît sur notre gauche, fermée par une barrière symbolique en bois. Il y a seulement deux cases sur quatre hectares de sous-bois bordés par un cours d’eau, un enchantement, cet endroit me séduit immédiatement. La case de Louis, le mécanicien, existe depuis une quinzaine d’années alors que la nôtre est en fin de construction. La mission catholique du village nous hébergera mais seulement pour 2 nuits car je décide qu’il suffit de fabriquer une porte et un volet pour la chambre, pour que je prenne possession des lieux avec le chat, les menuisiers, peintres, plombiers et électriciens ..
Chacun s’affère tranquillement, pas de frénésie, rien ne presse, rien n’est grave, je retrouve le rythme de l’Afrique. L’électricité mettra deux mois pour arriver à la case et il faudra quatre mois pour que les tuyaux amènent l’eau au robinet .. Mais attention, l’électricité, produite par un groupe électrogène, ne peut être utilisée à tort et à travers, elle est destinée à puiser l’eau du forage pour remplir le château d’eau. Ce rituel a lieu chaque soir et dure environ une heure trente. Louis, notre voisin, en profite donc pour regarder une K7 VHS et bien sûr, nous squattons son film, mais aussi sa douche et ses w.c en attendant que nous ayons l’eau courante, heureusement.
Et le frigo, me direz-vous ? (Bande d’insatiables petits curieux)
Sans électricité en continu, notre frigo est donc à pétrole, tout comme notre grand congélateur, et pour peu qu’on entretienne bien leur mèche, ces deux compères nous font un excellent froid. La température extérieure grimpant à 38° au plus chaud, c’est appréciable.
La vie en brousse ..
Le temps s’écoule paisiblement auprès de villageois d’une infinie gentillesse, ils nous vendent des fruits, des légumes, du poisson, du gibier. A la concession, nous donnons du travail à quelques uns : boy, gardien, jardinier, chauffeur. Les lampes à pétrole éclairent nos soirées et nos nuits sous la moustiquaire bien bordée. Pour avoir de l’eau potable, il faut de filtrer l’eau du puits qui sort marron du robinet. Pour devenir limpide et buvable, elle doit passer dans un filtre Buron en céramique, un genre de couscoussier avec deux grosses bougies de craie dans la partie supérieure. On y verse l’eau du robinet et les bougies la filtrent avant qu’elle descende dans la partie basse. A nous d’anticiper pour avoir toujours de l’eau filtrée d’avance !
Au pied du château d’eau se trouve le grand potager de Louis qui fournit nos deux cases. J’installe un poulailler près de la nôtre et j’achète cinq belles poules pondeuses, mais pas de coq ! J’ai bien ri pour expliquer que le coq est indispensable pour avoir des poussins mais pas pour les oeufs ! Chaque poule pond un gros oeuf par jour, faites le calcul, je pouvais en distribuer ..
Mes journées en brousse ? Je les vis au rythme du temps qui passe, je m’occupe du jardin et du poulailler en compagnie d’Etienne le gardien, de la maison avec Jérôme le boy, je couds à la main, des rideaux, nappe, serviettes, coussins, mais aussi mes vêtements dans du pagne africain acheté au village. Je lis, je rends visite aux soeurs de la mission catholique, qui s’occupent du planning familial. J’accompagne de temps à autre mon homme pour deux ou trois jours dans le nord, au moment de la paie des ouvriers. Imaginez, l’argent est dans des sacs plastique transparents et nous comptons la paie de chacun sur le capot de la voiture. Ils viennent à l’appel de leur nom, un garde armé près de nous, assure notre protection (!) Incroyable, non ?
Et le chat Gombé survivra à cette belle aventure. Il nous a rapporté des serpents, il a évité les scorpions, a réussi à fuir devant la civette qui venait piller notre poulailler. Et personne ne l’a attrapé pour le manger alors qu’il pesait près de six kilos (!) Pourtant, la tentation était forte car les lapins sauvages faisaient à peine huit cents grammes .. Mais à notre arrivée, nous avions mis un peu la pression en disant que tout le monde serait renvoyé si le chat disparaissait, alors chacun prenait régulièrement des nouvelles du chat !