1980 - Ayem …
La base-vie ..
Après une heure trente de vol à bord du Twin Otter rouge et blanc, la base apparut, perchée sur une butte déboisée et ceinturée par une piste qui la séparait de la brousse toute proche. L’avion, un bimoteur de seize places, atterrit un peu plus loin, sur une piste en terre, soulevant un nuage de poussière ocre au coeur d’une petite savane. Des 4x4 nous attendaient pour un trajet de quelques minutes jusqu’à la base. A l’entrée de celle-ci, sur la gauche, je découvre deux jolies paillotes près d’une grande piscine, et à droite, la supérette où je ferai mes courses. Une piste intérieure forme un petit circuit arrondi permettant à chacun d’accéder chez lui en voiture. Les logements sont des Portacamps, sorte de container canadien isotherme climatisé, petit mais confortable. Une chambre en bois et une terrasse sur pilotis complète la structure et donne une touche d’exotisme ! Tout a été pensé pour accueillir les cent vingt cinq expatriés : trente célibataires, trente couples et trente cinq charmants bambins de six mois à seize ans, remuants et intrépides !
La vie en brousse ..
Notre portacamp est tout au bout de la base, face au splendide coucher de soleil sur le fleuve Ogooué, large de plus de trois cents mètres à cet endroit. Pendant la saison sèche, les pirogues des pêcheurs se faufilent entre une multitude d’îlets rocheux, donnant l’impression de pouvoir le traverser à pied en sautant de roche en roche. Pendant la saison des pluies, le niveau monte de neuf mètres, on n’aperçoit plus que la cime des grands arbres, les îlets disparaissent sous l’eau tumultueuse et boueuse, couleur café au lait !
Chacun avait son petit jardin et je découvre la flore tropicale grâce à un passionné qui me fait profiter de ses connaissances en répondant à mes questions sur les fleurs et arbustes, un peu mon Google avant l’heure ! Mineur de son état, venu dynamiter quelques collines pour le passage de la voie ferrée, l’homme a la cinquantaine, une jeune femme maghrébine et un bébé de six mois. C’est pour elle qu’il a composé ce parterre végétal multicolore ! Debout chaque jour à quatre heures du matin, il jardine à la lueur du néon de sa terrasse avant de partir travailler.
Nos logements sont tous équipés à l’identique, mobilier, linge de maison, vaisselle. J’ai personnalisé un peu mon univers en confectionnant des rideaux, coussins, couvre-lit en pagne africain, et deux caisses de dynamite (vides bien sûr !) font merveille en tables de nuit, africanisées elles-aussi.
Je vais vivre en brousse pour la première fois de ma vie. Les contrats "famille" étant de dix mois, j’ai emporté avec moi un peu de ma civilisation : platine et disques vinyl (belle idée !) livres, BD et quelques travaux manuels : pyrographe, canevas, peinture sur verre. Côté garde-robe, les pulls sont inutiles car la température est constante, nous sommes au niveau de l’équateur.
Et mes pataugas étaient évidemment du voyage ...
Mais il faut aimer vivre loin de tout, car nous étions reliés à la capitale - Libreville - uniquement par avion. Et si le joli Twin Otter rouge et blanc approvisionnait la base-vie, il n’avait pas vocation de taxi. Pour aller à Libreville, il fallait une bonne raison, moi je n’irai que deux fois !
Le chantier du Transgabonais ..
Il s’agissait à l’époque du plus grand chantier du monde, près de sept cents km d’une unique voie ferrée au coeur de la forêt équatoriale. Les travaux dureront douze ans, entre 1974 et 1986, exécutés par un groupement d’entreprises européennes "Eurotrag", pour un coût de mille cinq cents milliards de francs CFA, soit environ quatre milliards d’euros. Des moyens énormes et pour nous, d’étonnants privilèges, comme ce dîner organisé sous la paillote pour la traditionnelle fête du mimosa au mois de février, avec un bouquet de mimosa offert à chaque femme d’agent. Et le 1er mai, des brins de muguet débarquèrent de l’avion pour venir parfumer notre bout du monde .. Surréaliste !
Vol en rase-mottes !
Et c’est ainsi qu’au mois de décembre, un petit avion de six places fut affrété spécialement pour les femmes. Il ferait des rotations de deux jours à Libreville pour que chacune puisse faire ses achats de Noël.
Le zinc était petit et le pilote accepta que je vienne m’asseoir à côté de lui. Il me passa les écouteurs, je supposais que j’étais promue "co-pilote". Mais pas du tout, un bon "Led Zeppelin" résonna dans mes oreilles dès le décollage ! Un vrai bonheur.
Mimi était assise derrière moi et avec son grand sourire enjôleur, elle tendit au pilote un magazine "Lui" (d’où venait-il donc ?) Le gars sourit, attrapa sa sacoche sous son siège et en sortit le mensuel "Playboy". Le ton était donné ! Le voyage ne fut pas triste, avec ce pilote qui forçait l’admiration de son harem en faisant du rase-mottes pour saluer les hippopotames ! L’avion calé dans l’axe du fleuve, volait plus bas que la cime des arbres immenses, donnant l’impression que ses ailes frôlaient les branches.
Quelques mois plus tôt, à mon arrivée, le survol de la forêt équatoriale avait été très différent. A bord du Twin Otter, nous volions bien plus haut et je quittais la civilisation pour aller vers l’inconnu. J’avais eu l’impression de m’enfoncer dans un tapis de persil frisé qui s’étendait à perte de vue.
A l’approche de Libreville, la forêt dense laissa place à de petites savanes, le fleuve s’élargissait et se ramifiait pour se jeter dans la mer, la nature dans toute sa splendeur, la carte postale.
Et soudain, l’aéroport apparut, le petit zinc se posa en douceur, le minibus nous attendait, c’était parti pour deux jours d’hôtel, de restaurant et d’emplettes entre filles, le délire !